Tchad: l'antagonisme Nord-Sud ou la fabrique de l'ennemi

L’antagonisme Nord-Sud ou la fabrique de l’ennemi, vers la division du Tchad ?

Je suis obligé de pondre cet article pour nuancer la position de ceux qui affirment tous les jours que l’antagonisme Nord-Sud est superficiel ou n'existe pas. C'est faux, il existe bel et bien, encré dans nos vies de tous les jours, fabriqué et enrichi à travers un long processus de construction.

Faisons un peu de la géopolitique
À côté des grands accords comme ceux actés par les Conférence de Berlin (1884-1885) sur les règles de jeu sur l’accaparation de l’Afrique dont beaucoup les avaient qualifié de partage de l’Afrique, existait des cadres des accords bilatéraux entre les grandes puissances à l’image de ce qui a été signé entre l’Angleterre et la France en 1898 à Londres dont les anglais avaient cédé une grande partie de l’Afrique saharienne à la France (de la Guinée en passant par le Sénégal, la Mauritanie, le Tchad, etc.). L’homme d’Etat anglais Lord Salisbury avait ironiquement déclaré qu’ « on laisse au coq gaulois ce qu’il lui faut pour gratter le sable ». Et c’était sans considérer l’intérêt géostratégique du Sahel en général et du Tchad en particulier sur l'échiquier géopolitique mondial.

La France à son tour en colonisant officiellement le Tchad avec la mort de Rabat à Kousseri au Cameroun en 1900 et en introduisant par la force la culture du coton en 1920 pour faire fonctionner l’économie et l’administration coloniale, avait utilisé le même postulat au Tchad en qualifiant le Sud du Tchad de « Tchad utile » en opposition à la grande partie Nord du Tchad sous prétexte qu’elle était impropre à l’agriculture. C’est ainsi que naissaient les premières frustrations entre les peuples qui devraient créer l’Etat-nation tchadienne. Le colon français était parti jusqu’à changer l’ossature des flux d’échange qui étaient, au départ, orientés Sud-Nord à travers la route transsaharienne par le chemin Nord-Sud en empruntant l’axe contraire, c’est-à-dire vers les côtes atlantiques. Le décor de la division Nord-Sud a été posé à partir de là et explique directement la géopolitique de conflits Nord-Sud.

À titre de rappel, avant la colonisation, le territoire du Tchad actuel était occupé par un conglomérat de grands royaumes islamisés du Nord et du Centre (Ouaddai, Kanem, Baguirmi, etc.) qui se sont farouchement opposés à la pénétration européennes et les grandes chefferies du Sud (Moundang, Toupouri, Bedaya, etc.) en grande partie animistes puis chrétiennisés pacifiquement. Avant la colonisation, les pouvoirs politique et administratif étaient sans nul doute imposés par les grands royaumes qui utilisaient la razzia comme moyen d’enrichissement et de domination. Mais avec la colonisation et plus tard l’indépendance, le rapport de force a changé car le pouvoir a été transféré dans la main des sudistes par l’entremise du colon.

La première rébellion au Tchad (FROLINAT) naquit en 1966, soit six ans après l’indépendance sous le prisme de l’antagonisme Nord-Sud irrigué par l’injustice faite sur les peuples du Nord par le premier gouvernement dirigé par un sudiste avec l’appui bien sûr de la France. Les preuves n’en manquent pas et sont nombreuses (incamération injustifiée, doublement d'impôts, dislocation du BET, chasse aux sorciers lancées contre les élites du Nord, etc. Et dès lors que le cours de l’histoire a changé avec l’arrivée des ressortissants du Nord à la tête de l’Etat tchadien depuis 1972, une sorte de vengeance s’est installée et qui perdure jusqu’aujourd’hui dont le pic est le conflit intercommunautaire grandissant de ces derniers temps. Les dirigeants du Nord n'ont pas eu la grandeur de Mandela ni la philosophie de Gandhi mais se sont laissés emporter par le cheval fougueux de leurs cœurs meurtris.

Bref, les leaders tchadiens n’ont pas réussi à fonder un Etat-nation digne d’un Tchad arc-en-ciel et la division Nord-Sud qui s’appuie sur des fibres religieuses et culturelles existe bel et bien à tous les niveaux. Beaucoup des Tchadiens ne veulent pas l’accepter en se basant sur des explications et connaissances dilatoires et éphémères, mais la situation est réelle et tangible.

Certains utilisent cet antagonisme Nord-Sud pour des intérêts politiques et d’autres aussi pour des intérêts socio-politiques et consort. Une chose est sûre et certaines cette division existe et profite ni à la région Nord du pays ni à la région Sud, mais à un système qui l’utilise pour atteindre des objectifs mesquins basés sur des intérêts égoïstes et personnels.

N’acceptez pas qu’on vous dise que la division Nord-Sud n’existe pas même si on se regarde comme des frères d’un même pays, 5 % peut-être des Tchadiens n’auront seulement que ce réel sentiment d’appartenance, les autres ne sont que de perfidies, une ruse…

Sinon dites leur d’arrêter le sang des Tchadiens qui coulent à flots tous les jours au Sud du pays.